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L’Homme au Message Pour Le Directeur Général

Mark Twain

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Livres pour EnfantsMarc Twain – L’Homme au Message Pour Le Directeur Général – Table des Matières
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Chapitre II > > >

Chapitre I

Il y a quelques jours, au commencement de février 1900, je reçus la visite d’un de mes amis qui vint me trouver à Londres où je réside en ce moment. Nous avons tous deux atteint l’âge où, en fumant une pipe pour tuer le temps, on parle beaucoup moins volontiers du charme de la vie que de ses propres ennuis. De fil en aiguille, mon ami se mit à invectiver le Département de la Guerre. Il paraît qu’un de ses amis vient d’inventer une chaussure qui pourrait être très utile aux soldats dans le Sud Africain.

C’est un soulier léger, solide et bon marché, imperméable à l’eau et qui conserve merveilleusement sa forme et sa rigidité. L’inventeur voudrait attirer sur sa découverte l’attention du Gouvernement, mais il n’a pas d’accointances et sait d’avance que les grands fonctionnaires ne feraient aucun cas d’une demande qu’il leur adresserait.

 — Ceci montre qu’il n’a été qu’un maladroit, comme nous tous d’ailleurs, dis-je en l’interrompant. Continuez.

 — Mais pourquoi dites-vous cela ? Cet homme a parfaitement raison.

 — Ce qu’il avance est faux, vous dis-je. Continuez.

 — Je vous prouverai qu’il…

 — Vous ne pourrez rien prouver du tout. Je suis un vieux bonhomme de grande expérience. Ne discutez pas avec moi. Ce serait très déplacé et désobligeant. Continuez.

 — Je veux bien, mais vous serez convaincu avant longtemps. Je ne suis pas un inconnu, et pourtant il m’a été aussi impossible qu’à mon ami, de faire parvenir cette communication au Directeur Général du Département des Cuirs et chaussures.

 — Ce deuxième point est aussi faux que le premier. Continuez !

 — Mais, sur mon honneur, je vous assure que j’ai échoué.

 — Oh ! certainement, je le savais, vous n’aviez pas besoin de me le dire.

 — Alors ? où voyez-vous un mensonge ?

 — C’est dans l’affirmation que vous venez de me donner de l’impossibilité où vous croyez être d’attirer l’attention du Directeur Général sur le rapport de votre ami. Cette affirmation constitue un mensonge ; car moi je prétends que vous auriez pu faire agréer votre demande.

 — Je vous dis que je n’ai pas pu. Après trois mois d’efforts ; je n’y suis pas arrivé.

 — Naturellement. Je le savais sans que vous preniez la peine de me le dire. Vous auriez pu attirer son attention immédiatement si vous aviez employé le bon moyen, j’en dis autant pour votre ami.

 — Je vous affirme que j’ai pris le bon moyen.

 — Je vous dis que non.

 — Comment le savez-vous ? Vous ignorez mes démarches.

 — C’est possible, mais je maintiens que vous n’avez pas pris le bon moyen, et en cela je suis certain de ce que j’avance.

 — Comment pouvez-vous en être sûr, quand vous ne savez pas ce que j’ai fait ?

 — Votre insuccès est la preuve certaine de ce que j’avance. Vous avez pris, je le répète, une fausse direction. Je suis un homme de grande expérience, et…

 — C’est entendu, mais vous me permettrez de vous expliquer comment j’ai agi pour mettre fin à cette discussion entre nous.

 — Oh, je ne m’y oppose pas ; continuez donc, puisque vous éprouvez le besoin, de me raconter votre histoire. N’oubliez pas que je suis un vieux bonhomme…

 — Voici : J’ai donc écrit au Directeur Général du Département des Cuirs et chaussures une lettre des plus courtoises, en lui expliquant…

 — Le connaissez-vous personnellement ?

 — Non.

 — Voilà déjà un point bien clair. Vous avez débuté par une maladresse. Continuez…

 — Dans ma lettre, j’insistais sur l’avenir assuré que promettait l’invention, vu le bon marché de ces chaussures, et j’offrais…

 — D’aller le voir. Bien entendu, c’est ce que vous avez fait. Et de deux !

 — Il ne m’a répondu que trois jours après.

 — Naturellement ! Continuez.

 — Il m’a envoyé trois lignes tout juste polies, en me remerciant de la peine que j’avais prise, et en me proposant…

 — Rien du tout.

 — C’est cela même. Alors je lui écrivis plus de détails sur mon invention…

 — Et de trois !

 — Cette fois je… n’obtins même pas de réponse. A la fin de la semaine, je revins à la charge et demandai une réponse avec une légère pointe d’aigreur.

 — Et de quatre ! et puis après ?

 — Je reçus une réponse me disant que ma lettre n’était pas arrivée ; on m’en demandait un double. Je recherchai la voie qu’avait suivie ma lettre et j’acquis la certitude qu’elle était bien arrivée ; j’en envoyai quand même une copie sans rien dire. Quinze jours se passèrent sans qu’on accordât la moindre attention à ma demande ; pendant ce temps, ma patience avait singulièrement diminué et j’écrivis une lettre très raide. Je proposais un rendez-vous pour le lendemain et j’ajoutai que si je n’avais pas de réponse, je considérerais ce silence du Directeur comme un acquiescement à ma demande.

 — Et de cinq !

 — J’arrivai à midi sonnant ; on m’indiqua une chaise dans l’antichambre en me priant d’attendre. J’attendis jusqu’à une heure et demie, puis je partis, humilié et furieux. Je laissai passer une semaine pour me calmer. J’écrivis ensuite et donnai un nouveau rendez-vous pour l’après-midi du lendemain.

 — Et de six !

 — Le Directeur m’écrivit qu’il acceptait. J’arrivai ponctuellement et restai assis sur ma chaise jusqu’à deux heures et demie. Écœuré et furieux, je sortis de cette antichambre maudite, jurant qu’on ne m’y reverrait jamais plus. Quant à l’incurie, l’incapacité et l’indifférence pour les intérêts de l’armée que venait de témoigner le Directeur Général du Département des Cuirs et chaussures, elles étaient décidément au-dessus de tout.

 — Permettez ! Je suis un vieil homme de grande expérience et j’ai vu bien des gens passant pour intelligents qui n’avaient pas assez de bon sens pour mener à bonne fin une affaire aussi simple que celle dont vous m’entretenez. Vous n’êtes pas pour moi le premier échantillon de ce type, car j’en ai connu personnellement des millions et des milliards qui vous ressemblaient. Vous avez perdu trois mois bien inutilement ; l’inventeur les a perdus aussi, et les soldats n’en sont pas plus avancés ; total : neuf mois. Eh bien, maintenant je vais vous lire une anecdote que j’ai écrite hier soir, et demain dans la journée vous irez enlever votre affaire chez le Directeur Général.

 — Je veux bien, mais le connaissez-vous ?

 — Du tout, écoutez seulement mon histoire.


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